Valérie est travailleuse autonome; elle a mis sur pied une petite entreprise à domicile à travers laquelle elle offre, à distance, ses services d’adjointe administrative à des entreprises et à des entrepreneurs. Il s’agit toutefois d’une situation très récente. Pendant plusieurs années, Valérie a travaillé comme adjointe administrative dans une entreprise de services-conseils et d’impartition dans le domaine de l’administration des régimes de retraite.
Lors de notre échange sur Skype, Valérie m’avoue se sentir « fragile ». Son corps et sa tête réagiraient de façon excessive aux aléas de la vie. En écoutant son histoire et son parcours, j’ai plutôt l’impression de voir, à travers mon écran, l’image d’une « battante. » En effet, la transition vers le travail autonome ne s’est pas fait sans douleur…
Un évènement qui laisse des marques
Les premiers évènements ayant mené au changement de carrière de Valérie datent de son deuxième congé de maternité. Alors qu’elle est enceinte de son deuxième enfant, Valérie présente des symptômes de prééclampsie, une affection qui touche un petit pourcentage de femmes enceintes et qui causent notamment une élévation anormale de la pression artérielle. La situation est si préoccupante que Valérie doit subir un accouchement provoqué. À la suite de l’accouchement, sa pression artérielle est si élevée que Valérie a très peur de mourir. Une fois revenue à la maison, sa situation de santé demeure instable et elle doit retourner plus d’une vingtaine de fois à l’hôpital dans les deux mois suivant son accouchement. Valérie demeure marquée par ces évènements; elle en gardera des symptômes de stress post-traumatique.
Un retour à l’emploi chaotique
En 2015, une fois son congé de maternité achevé, Valérie reprend son emploi d’adjointe administrative. Le contexte organisationnel rend son retour difficile. Alors que l’entreprise entre dans une phase de restructuration, le poste d’adjointe exécutive de Valérie est aboli. Elle est alors réaffectée à un poste d’adjointe de département. Valérie vit ce changement comme une rétrogradation. Elle est aussi confrontée à une forte pression à la performance. Bien qu’elle ait toujours été très appréciée, elle se sent de moins en moins à la hauteur de ce qui lui est demandé.
Durant cette même période, Valérie doit aussi faire face à des changements dans sa vie personnelle. D’une part, elle déménage pour améliorer la qualité de vie de sa famille. Puisqu’elle s’est éloignée de son milieu de travail et que son conjoint travaille de longues heures dans le cadre de son emploi, Valérie modifie son horaire de travail afin d’assurer la meilleure conciliation travail-famille possible; elle doit alors se lever un peu avant 4h30 du matin tous les jours. Alors que ses parents demeurent à l’extérieur de la région, elle a difficilement accès à son réseau pour la soutenir au besoin.
Après plusieurs mois de ce nouveau rythme de vie, Valérie constate que « ça allait vraiment de pire en pire dans [sa] tête. » Un matin, elle n’arrive tout simplement pas à se lever du lit. Elle devra se traîner à quatre pattes dans les escaliers pour aller chercher ses médicaments au sous-sol. Elle consulte alors son médecin qui la met en arrêt de travail et amorce une démarche thérapeutique afin de pouvoir éventuellement retourner au travail.
Elle demande le report de sa date de retour au travail quand elle constate que celle-ci coïncide avec l’entrée à l’école de sa fille et le départ de son conjoint en voyage d’affaires. Valérie entrevoit la difficulté de gérer, encore une fois, toutes ces adaptations d’un seul coup. C’est à ce moment que sa gestionnaire prend le temps de discuter avec elle et la questionne sur ses réelles intentions quant à sa vie professionnelle. Valérie profite de cette occasion pour réfléchir. Son conjoint et elle s’assoient ensemble pour évaluer la situation, choisir leurs priorités et faire un plan d’action.
Adapter le travail à sa réalité…
Valérie quitte alors son emploi et démarre son entreprise.
Et si j’ajoutais à ce portrait que Valérie a été diagnostiquée, au cours de sa vie, de 8 différents problèmes de santé mentale? Qu’est-ce que cette information changerait à votre perception?
En effet, avant même de traverser cet épisode éprouvant, Valérie vivait déjà avec les conséquences de plusieurs problèmes de santé mentale; elle doit, encore aujourd’hui, composer avec les impacts de troubles anxieux et de troubles alimentaires. Elle raconte d’ailleurs elle-même son parcours avec beaucoup d’authenticité.
En dépit de sa condition de santé, Valérie a su non seulement se rétablir de sa situation d’épuisement mais également profiter de cette épreuve pour remettre en question ses priorités. Ce questionnement a permis à Valérie d’ajuster son mode de vie à ses aspirations personnelles et professionnelles. Comment ce nouveau statut de travailleuse autonome a-t-il changé sa vie?
D’une part, la nouvelle situation de Valérie lui offre plus de flexibilité. Son horaire plus malléable lui permet de travailler le soir, par exemple, ce qui lui donne l’occasion d’offrir plus de temps de qualité à sa famille. D’autre part, ce nouveau statut lui procure également plus de contrôle : comme Valérie choisit ses contrats, elle se donne les meilleures conditions possibles pour mieux gérer son stress et son anxiété. D’ailleurs, alors qu’elle pouvait vivre 3 à 4 importantes crises d’anxiété par jour lorsqu’elle était en emploi, Valérie n’en vit pratiquement plus. Finalement, le travail autonome permet aussi à Valérie d’être stimulée au plan professionnel, tant par la diversité des tâches que la possibilité de créativité : « C’est le mix parfait de tout ce que j’ai toujours recherché. Je ne retournerais jamais dans un emploi salarié. »
… et s’il fallait adapter le milieu de l’emploi?
Lorsqu’on l’interroge sur les meilleures façons d’adapter le milieu de l’emploi pour favoriser la santé mentale des travailleurs, Valérie, forte de ses expériences, n’a pas d’hésitation. Selon elle, l’accès à des assurances collectives constitue un facteur essentiel.
Malheureusement, les pratiques actuelles des compagnies d’assurance font reposer le fardeau de la preuve sur l’assuré qui doit démontrer, preuves et multiples formulaires à l’appui, qu’il est réellement malade : « C’est dur de remplir toute la paperasse, de se faire interroger, quand tu es déjà à terre. » Elle souhaiterait moins de lourdeur administrative et, surtout, plus d’humanité dans le traitement réservé aux personnes qui doivent arrêter de travailler.
D’ailleurs, c’est une des qualités qu’elle soulève à propos de son ancienne gestionnaire qui s’est montrée à l’écoute et compréhensive à son égard lors de son arrêt de travail : « Je pense que je me suis sentie acceptée dans mes difficultés. Ça m’a permis de vivre moins de culpabilité. » Néanmoins, les commentaires entendus au sujet d’autres collègues ayant eux aussi vécu des épisodes de problèmes de santé mentale confirment, selon Valérie, la nécessité de maintenir et de multiplier toutes les initiatives permettant de combattre la stigmatisation.
La « recette » de Valérie
Il n’y a pas de recette magique pour reprendre pied après un épisode difficile. Chacun a sa recette, et Valérie a concocté la sienne, au fil des expériences. Outre le grand saut vers le travail autonome, l’exercice de réflexion de Valérie lui a également permis de mettre en lumière l’ensemble des choix et des facteurs qui facilitent, un jour à la fois, son rétablissement.
- Établir des priorités pour faire des choix cohérents
Il est maintenant très clair pour Valérie que le bien-être de sa famille arrive au premier plan et qu’elle doit donc agir en conséquence : « Je dois prendre soin de moi si je veux que ma famille se porte bien. »
- S’appuyer sur son réseau
Dans les moments plus difficiles, Valérie a pu compter sur le soutien de sa famille et de ses amis; au jour le jour, elle fait équipe avec son conjoint.
- Utiliser toutes les ressources et tous les moyens disponibles et efficaces pour soi
Au fil des ans, Valérie a reçu le soutien de différents professionnels et a effectué plusieurs démarches thérapeutiques. Elle a accepté de prendre de la médication en plus d’intégrer des pratiques saines pour elle, dont la méditation et la pleine conscience.
- Se connaître et demeurer attentive
Valérie insiste également sur l’importance de la connaissance de soi pour maintenir l’équilibre. Forte de cette connaissance, Valérie reste à l’affût des signaux psychologiques et tente de prendre action avant qu’ils se transforment en symptômes physiques : « Je sais de quoi j’ai besoin. Je connais mes déclencheurs. »
Et si vous vous laissiez inspirer par Valérie… Vous, quelle serait votre recette pour retrouver et maintenir votre équilibre?