La version originale de ce texte est publiée sur le site de la revue Gestion.
« Change is disturbing when it is done to us; exhilarating when it is done by us. » (Rosabeth Moss Kanter)
N’est-il pas ironique de penser que les travailleurs du milieu de la santé, sur qui repose le maintien du bien-être physique et psychologique de la population, figurent actuellement parmi les catégories de travailleurs les plus touchés par les problèmes de santé, notamment la santé psychologique?
En effet, une enquête récente¹ montre que, depuis 2015, l’état de santé psychologique des employés du réseau de la santé et des services sociaux est en déclin. Selon les données recueillies, 60 % des répondants présenteraient un niveau de détresse psychologique élevé ou très élevé.
Lorsqu’on les questionne sur les raisons de ce déclin, 57,7 % des travailleurs attribuent la détérioration de leur situation aux transformations organisationnelles conséquentes à l’adoption de la loi 10² en 2015.
Mais que s’est-il donc passé?
LE TRAVAIL SOCIAL : UNE PROFESSION À POTENTIEL DE STRESS ÉLEVÉ
Un rapport publié récemment s’est intéressé à la santé mentale des employés du réseau de la santé et des services sociaux, en s’attardant tout particulièrement aux travailleurs sociaux, afin de tenter d’expliquer comment l’adoption du projet de loi 10 et les transformations qui ont suivi ont pu affecter de façon aussi importante leur santé psychologique.
Les facteurs de risques psychosociaux ont été décrits dans un article précédent (lire « Le défi de la réduction du stress en milieu de travail : mission possible! »). Il s’agit des différentes catégories de sources de stress potentiellement présentes dans l’environnement de travail. Celles-ci, lorsqu’elles ne sont pas bien régulées par l’organisation, sont susceptibles de provoquer différents problèmes chez les travailleurs (détresse psychologique, problèmes de santé physique et mentale) qui se répercuteront par la suite dans l’organisation (absentéisme, présentéisme, roulement de personnel).
Le rapport a permis d’identifier que le travail social, en contexte de services publics et gouvernementaux, est une profession à haut risque pour la santé psychologique, car elle est modulée par l’interaction de plusieurs de ces facteurs. Certains augmentent le risque de détresse :
- les conflits de rôles, liés à la présence de dilemmes éthiques quotidiens;
- la charge émotionnelle associée à l’obligation de réguler les émotions négatives;
- les relations difficiles entre collègues qui peuvent être délétères si elles n’apportent pas suffisamment de soutien.
D’autres, lorsqu’ils sont présents, peuvent jouer le rôle de facteurs de protection :
- le sentiment de justice organisationnelle qui assure aux travailleurs sociaux une distribution équitable des ressources entre employés et avec les personnes auprès de qui ils travaillent;
- la confiance envers le gestionnaire, indispensable pour se sentir bien soutenu;
- le niveau d’autonomie professionnelle;
- la reconnaissance, qu’elle provienne des personnes aidées, des collègues ou du gestionnaire.
LES IMPACTS DU PROJET DE LOI : UN CHANGEMENT ORGANISATIONNEL BRUSQUE
Le rapport met en lumière le fait que l’adoption du projet de loi 10 a provoqué un changement organisationnel majeur qui a entraîné des transformations importantes des conditions de pratique des travailleurs sociaux, ce qui a eu deux effets. D’abord, on a constaté l’exacerbation des facteurs de risque reconnus comme particuliers aux travailleurs sociaux du réseau, notamment les conflits de rôles. Par ailleurs, on a vu l’apparition de facteurs de risque supplémentaires en lien avec ces transformations : l’injustice organisationnelle, l’effritement du soutien du gestionnaire, la perte de soutien social, la surcharge de travail et la perte de sens au travail.
De plus, un sondage mené auprès des travailleurs sociaux permet de comprendre que, pour eux, le manque d’implication et de participation au processus de changement constitue le facteur de risque le plus aggravant sur leur niveau de stress et de détresse. En effet, parmi les quatre facteurs de protection au stress en processus de changement, la communication, la confiance envers le gestionnaire et la clarté des rôles avaient une importance moindre que le sentiment d’implication dans le processus.
PRÉVENIR LA DÉTRESSE PSYCHOLOGIQUE PAR LA COLLABORATION DE TOUS LES MEMBRES DE L’ORGANISATION
À la lumière de ces résultats, le rapport émet l’hypothèse qu’un processus de consultation et d’implication des travailleurs sociaux aurait agi comme un facteur de protection et fort probablement diminué les impacts du changement organisationnel.
En effet, on ne peut nier que la profession de travailleur social comporte d’ores et déjà son lot de facteurs de risque ni que tout changement implique toujours une certaine dose de stress inévitable. Toutefois, la façon dont s’opèrent les changements dans une organisation a une influence importante sur le bien-être de ses membres.
Prévoir et planifier ces changements en collaboration avec les travailleurs aura un effet bénéfique sur l’organisation du travail, l’efficacité de l’organisation et, au final, sur la population qui reçoit les services qu’elle dispense. Ne l’oublions pas : se préoccuper du bien-être des travailleurs du milieu de la santé, c’est augmenter leur potentiel de soutien pour l’ensemble de la population.
¹ Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (2017). Sondage sur la santé psychologique des membres de l’APTS. Rapport partiel, Québec, 8 pages.
² Loi modifiant l‘organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales, entrée en vigueur le 1er avril 2015.