Être entrepreneure est devenu, pour moi, une voie royale pour ouvrir mes horizons et assouvir ma curiosité. Étant intéressée à développer un créneau d’interventions en santé mentale au travail auprès de différentes catégories de professionnels, je me penche, depuis quelques temps, sur les besoins et les enjeux des avocats et plus spécifiquement des jeunes avocates qui seraient exposées, selon certaines études (Gladu-Martin, 2016), à certains facteurs de risque de détresse psychologique liés, entre autres, à la discrimination de genre vécue en milieu de travail.
Le 8 mars dernier, à l’occasion de la Journée internationale de la Femme, le Barreau du Québec a organisé une table ronde intitulée « Les avocates à la conquête des domaines plus masculins : Défis et solutions ». En effet, bien que la profession soit occupée par 52% de femmes, on observe encore des disparités dans la pratique : certains domaines sont encore majoritairement occupés par des hommes, notamment la pratique privée mais également des domaines du droit tels que la droit criminel et le droit des affaires. Pour discuter de la question, le Barreau avait justement invité deux avocates en droit criminel, soit Me Lida Sara Nouraie et Me Anne-Marie Lanctôt, ainsi que deux avocates en droit des affaires : Me Élisabeth Castonguay et Me Sharon G. Druker. L’évènement a attiré une cinquantaine d’avocates ainsi que quelques avocats.
Ce fut l’occasion, pour moi, de m’initier à la culture professionnelle de la pratique du droit mais également de réfléchir aux enjeux spécifiques au fait d’être une femme dans un milieu traditionnellement masculin. Je vous en présente ici quelques observations des participantes à la table-ronde qui ont piqué ma curiosité et attisé mon intérêt.
1- Beaucoup d’avocates doivent apprendre à devenir des entrepreneures.
Ce n’est pas le cas de toutes les avocates. Néanmoins, une bonne proportion d’avocates travaillent à leur compte ou pour de petites firmes, ce qui leur confère un statut de travailleuse autonome. Cette situation fait en sorte qu’elles doivent, tout comme des entrepreneures, occuper une panoplie de tâches qui n’a rien à voir avec la pratique du droit en tant que tel : le développement d’affaires, la facturation et la comptabilité, la gestion de ressources humaines, etc. Les femmes présentes à la table-ronde ont identifié ce statut de travailleuse autonome comme un des défis principaux de la pratique, car il exige qu’elles soient polyvalentes, d’une part, mais également qu’elle travaille un très grand nombre d’heures.
2- Être une jeune professionnelle constitue un défi supplémentaire au fait d’être une femme.
En effet, plusieurs des interventions lors des discussions concernaient les difficultés liées au début de carrière : le manque de repères professionnels, la nécessité de travailler d’arrache-pied pour se faire une place, l’inadéquation de la formation universitaire pour préparer les futures avocates aux réalités du marché du travail, etc. Ces préoccupations me semblent transversales, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas spécifiques aux femmes ni aux professions du droit mais concernent, en fait, la réalité d’une majorité de jeunes travailleurs qui, dans un monde professionnel de plus en plus exigeant et performant, doivent se démarquer et faire leur place rapidement. Néanmoins, elles s’ajoutent aux défis spécifiques vécus par les femmes.
3- Une des clés du succès des avocates réside dans la collaboration.
Cette observation ne devrait pas m’étonner; elle peut sembler évidente. Toutefois, on m’a, à plusieurs reprises, décrit le monde du droit comme un milieu extrêmement compétitif. Néanmoins, il semble que les femmes présentes lors de la table-ronde considèrent la collaboration comme une pratique professionnelle essentielle : plusieurs se réfèrent des clients entre elles ou travaillent à plusieurs dans un même dossier. Est-ce une pratique plus « féminine »? Si la table-ronde avait été occupée par des hommes, le discours aurait-il été le même? Difficile à dire, mais les participantes ont tout de même mentionné qu’elles n’avaient pas de difficulté à collaborer avec des collègues masculins. En fait, réseauter, s’entourer pour éviter l’isolement et demander conseils, soutien et mentorat sont des stratégies à mettre de l’avant.
4- Être une femme constitue aussi un avantage.
Une des participantes, Me Lanctôt, a insisté sur ce point : les femmes ne devraient pas mimer les comportements plus typiquement masculins dans le but de faire leur place. Selon elle, cette pratique constitue une perte pour la pratique du droit et nuit à l’atteinte d’un équilibre nécessaire. En effet, les femmes apporteraient des compétences et des forces différentes et complémentaires de celles des hommes. En mimant les hommes, les femmes se privent de forces qui peuvent devenir de réels avantages dans certains contextes. Le réel défi est plutôt de bien se connaître, d’identifier ses forces, ses compétences et ses valeurs afin de choisir un créneau qui correspond à la fois à sa personnalité mais aussi au style de vie souhaité. Tous les champs de pratique ne conviennent pas à toutes les avocates, mais il ne s’agit pas que d’une question de genre. Il s’agit également d’une question de style ainsi que d’aspirations personnelles et professionnelles.
5- Pour faire leur place, les femmes doivent se défaire du syndrome de l’imposteur.
Selon les participantes, un autre défi significatif des femmes à faire leur place réside dans une habitude plus typiquement féminine qui consiste à souffrir du syndrome de l’imposteur. Devant certains problèmes, les femmes doivent avoir le courage et la maturité de trouver des solutions qui leur conviennent et de demander ce qu’elles veulent, sans gêne ou hésitation. Les limites objectives existent dans l’environnement; il n’est pas nécessaire que les femmes s’ajoutent, en plus, des limites qu’elles s’imposeraient elles-mêmes, par peur d’assumer ce qu’elles veulent et la place qu’elles souhaitent prendre.
6- Les avocates ne devraient pas hésiter à « donner à la suivante ».
Attention au « queen bee syndrome », soit le phénomène où des femmes en position d’autorité se montrent plus sévères ou exigeantes envers leurs subordonnées féminines. Au contraire, les participantes encouragent les avocates d’expérience à offrir du mentorat aux plus jeunes afin de leur faire profiter de leur expérience et faciliter l’intégration dans la profession. En fait, elles encouragent même les jeunes avocates à se doter d’une mentor mais aussi d’un mentor, car un homme pourra offrir une perspective différente et complémentaire sur la pratique. Pourquoi se priver des outils disponibles?
Les réflexions partagées pendant cette table-ronde ont été très inspirantes, car elles m’ont permis d’envisager la place des avocates dans la pratique du droit autrement que sous la seule loupe de la question de genre. Il s’agit d’un thème qui permet le recoupement de plusieurs enjeux à la fois sociaux, comme les défis vécus en début de carrière, et individuels, tels que ceux reliés aux valeurs et aux aspirations personnelles. Utiliser plusieurs angles de réflexion ouvre ainsi la porte à une diversité de pistes de solution.
Gladu-Martin, Annie (2016). Les facteurs de risque et de protection sociaux, individuels, organisationnels et hors travail au stress et à la détresse psychologique chez les avocats membres du Barreau du Québec, Université de Sherbrooke, Sherbrooke, 233 pages.