Construire et soutenir des organisations saines, Journal d'une entrepreneure sociale

Chronique d’une travailleuse sociale devenue entrepreneure

De quelle catégorie faites-vous partie? Voyez-vous le verre à moitié vide ou à moitié plein? Pour ma part, je me concentre pour voir le verre à moitié plein. Demandez à mon entourage; il pourra vous le confirmer. Par contre, plus le temps avance, plus j’accumule les expériences, moins je peux ignorer la partie vide du verre. Je vois, depuis plusieurs années, ce vide qui me nargue. J’ai envie de le remplir, ne serait-ce qu’en partie… C’est pourquoi j’ai décidé de devenir entrepreneure.

La moitié pleine du verre : sens, utilité, complexité et développement personnel dans le parcours professionnel

Je suis travailleuse sociale; je me suis engagée dans le champ de la relation d’aide il y a bientôt 15 ans. J’aime profondément mon travail. Les raisons sont multiples, mais, en tête de liste, le sens et le sentiment d’utilité sont au coeur de cette passion. Je crois en ce que je fais, tout simplement, et je peux fréquemment en constater les résultats qui, encore aujourd’hui, m’impressionnent. Les personnes que j’accompagne font, encore et toujours, preuve d’une résilience qui me touche. Ils sont beaux, en dépit de la souffrance qu’ils portent.

J’aime aussi mon travail, car il me permet, je le pense sincèrement, de devenir une meilleure personne. À travers mes expériences, j’ai fréquemment eu l’occasion d’acquérir des savoirs, de développer des savoir-faire et de peaufiner mon savoir-être. J’ai appris à mieux intervenir, mais j’ai aussi eu l’occasion de me questionner sur les raisons de ce choix professionnel. J’ai compris que je pouvais accompagner sans devoir sauver qui que ce soit.

J’ai aussi appris à me faire confiance, à m’appuyer sur mes observations et la justesse de mon jugement. Je suis constamment happée par la complexité de l’être humain et des relations qu’ils tissent avec son environnement, par les enjeux souvent éthiques des décisions que nous prenons, même dans la vie quotidienne. Alors qu’elle m’a souvent effrayée, j’embrasse maintenant cette complexité, car elle rend mon travail d’autant plus stimulant.    

Pourtant, en dépit de tout ce que j’aime de mon travail, j’ai souvent été déçue par mes emplois. Pourquoi? 

La moitié vide du verre : premier constat. Les intervenants sont des cordonniers mal chaussés. 

Je suis entrée dans le monde du travail avec une grande candeur… J’envisageais les milieux de travail orientés sur l’intervention comme des milieux empreints d’écoute, d’entraide, de solidarité et de respect. Bien que j’aie eu l’occasion de partager occasionnellement ces idéaux avec quelques collègues, j’ai souvent été déçue. Contrairement à l’image très idéaliste que je m’en étais faite, les travailleurs de la relation d’aide sont des êtres humains comme les autres, même s’ils ont été formés à l’empathie, à l’écoute et aux compétences relationnelles. Je me suis retrouvée à plusieurs reprises dans des milieux de travail pollués par des tensions de rôles, des conflits de travail, des comportements inacceptables, allant du harcèlement à la violence verbale et psychologique. J’en ai parfois été la cible, mais j’en ai aussi souvent été témoin. J’ai quitté certains emplois à la suite d’incidents de ce genre.

Après mes premières déceptions, je me suis dit que j’étais probablement en faute. Je m’intégrais probablement mal, je ne comprenais pas les enjeux des équipes de travail, je ne savais pas comment collaborer… Pourtant, j’accumulais des signes et des témoignages qui m’indiquaient que j’étais une employée compétente et une collègue appréciée.

Éventuellement, j’ai pris une distance par rapport à ces incidents et, plutôt que de me prendre en faute, je me suis mise à en vouloir à quelques-uns de mes anciens collègues. Pour qui se prenaient-ils d’avoir agi de façon aussi irrespectueuse à mon égard et à l’égard de leur entourage au travail? Quels êtres humains exécrables! Je me suis alors concentrée à identifier des traits chez ces personnes qu’il me fallait éviter, à accumuler des astuces pour me sortir d’interactions toxiques. Bien que ces outils me soient toujours utiles, ils n’ont pas répondu entièrement au problème, car la plupart des personnes avec qui j’ai travaillé étaient et sont encore de bonnes personnes, avec des qualités personnelles, des compétences professionnelles et un désir de bien faire leur travail qui en font aussi des atouts pour la mission de l’organisation.

Si les milieux de travail sont peuplés, en majorité, de bonnes personnes, qu’est-ce qui peut donc expliquer la présence de tant de problèmes relationnels?

La moitié vide du verre : deuxième constat. Les organisations participent aux problèmes relationnels chez leurs travailleurs. 

Après plusieurs échanges et réflexions, après avoir lu et exploré les relations de travail sous plusieurs angles, j’en suis venue à la conclusion que les milieux de travail où j’ai évolué étaient, certes, peuplés en majorité de bonnes personnes, mais qui étaient, trop souvent, désemparés et insécures devant l’ampleur de la tâche, les attentes souvent irréalistes qui accompagnent les descriptions de tâches (quand il y en a!), le manque de ressources humaines et financières, l’absence de mesures de soutien social et de procédures d’évaluation justes et adéquates et, souvent, la présence d’un leadership difficilement assumé ou tout simplement narcissique. 

Dans un environnement qui soumet les travailleurs (et leurs gestionnaires!) à des pressions diverses, souvent paradoxales, et des objectifs impossibles à atteindre, les travailleurs s’ajustent du mieux qu’ils le peuvent, c’est-à-dire en tentant d’apaiser cette insécurité avec les moyens qu’ils ont. Certains font usage de moyens fort inappropriées, j’en conviens, mais un environnement de travail mieux structuré permettrait d’éviter un grand nombre de problèmes et aurait, par la même occasion, un effet bénéfique sur l’organisation dans son ensemble et l’atteinte de sa mission et de ses objectifs.

Que doit-on faire?

Pour remplir le verre : un retour à l’équilibre. Il faut arrimer les besoins des travailleurs aux objectifs des organisations. 

Après bientôt 15 ans de recherche active, j’ai décidé d’arrêter de butiner les milieux de travail. J’en ai déjà essayé quelques-uns : des organismes communautaires, des tables de concertation, des établissements scolaires, des institutions de santé et de services sociaux. J’ai aussi occupé plusieurs rôles au sein de ces organisations : employée salariée, travailleuse contractuelle, bénévole, chargée de projets et membre de conseil d’administration. Toujours, le même constat : la difficulté, pour une organisation, d’arrimer ses objectifs avec les besoins de ses membres et travailleurs. Il est pourtant clair pour moi que la résolution de ce casse-tête constitue une bonne partie de la réponse : il n’y a pas d’organisation qui survive sans la participation des gens qui en font partie. Plus les membres seront bien, plus ils se sentiront partie prenante de la mission, mieux l’organisation se développera. Elle pourra ainsi éviter les problèmes répertoriés dans les recherches sur la santé mentale au travail : roulement de personnel, absentéisme, présentéisme, absences prolongées pour maladie professionnelle, dont l’épuisement, etc.

Quels sont les besoins des travailleurs? Il y en a certainement plusieurs et ils peuvent aussi se nuancer, d’un travailleur à l’autre. Tout le monde n’entretient pas les mêmes aspirations par rapport au travail. Néanmoins, une constante demeure : l’engagement et l’implication reposent notamment sur l’établissement d’un climat de travail agréable, sain et sécuritaire. Vivre des relations saines et matures au travail n’est pas une compétence innée; elle s’apprend. Pour arriver à établir ces relations, il est nécessaire de développer un certain nombre d’habiletés, mais il faut avoir accès aux bons outils. Les organisations qui offrent ces outils à leurs employés en constatent les effets bénéfiques.

Que puis-je construire à partir de ces observations et de ces expériences?

Ma vision d’entrepreneure : nourrir et documenter le changement

Je suis donc devenue entrepreneure pour pouvoir participer à un changement de pratique auprès des organisations et auprès des travailleurs, de diverses façons, un petit pas à la fois. La tenue de ce blogue fait partie des moyens dont je me suis dotée. Ja vais, par la publication régulière de mes articles, apporter des idées qui permettent de faire la promotion d’une bonne santé mentale, de prévenir plus souvent les problèmes que de les guérir. Je m’engage à insuffler des éléments de réflexion qui nous permettent de se rappeler comment le développement des individus est intrinsèquement lié à leur environnement et que, en prenant soin de l’un, on prend aussi soin de l’autre.

M’étant éloignée des milieux traditionnels associés aux travailleuses sociales, je profiterai aussi de ce blogue pour vous partager mes réflexions d’entrepreneure : le développement de mes projets, mes constats et mes observations, mes succès et mes déconvenues… en espérant que le parcours vous intéressera!