Audrey dit avoir toujours eu de la difficulté à trouver sa place. Peut-être est-ce pour cette raison qu’elle voyage autant… Ce qu’elle apprécie, c’est le simple fait de bouger. Sa quête incessante n’est peut-être pas non plus étrangère au fait qu’elle vit, depuis plusieurs années, avec les conséquences d’un trouble de déficit de l’attention et d’un trouble anxieux. Comment trouver sa place lorsque notre cerveau semble parler un langage différent de l’environnement qui nous entoure? Audrey a donc cherché, longtemps, sur plusieurs chemins différents, cette place si difficile à dénicher. Elle a, depuis quelques temps, trouvé une niche qui lui convient mieux : celle du travail autonome.
Un parcours aux milles chemins
Audrey a ouvert sa boîte de design graphique il y a 8 ans : Bokal Créatif. Elle n’y a pas toujours travaillé à temps plein, mais elle y a toujours été active. Audrey a commencé son parcours de travailleuse autonome après avoir « galéré » pendant quelques années, comme elle le dit si bien.
En sortant de l’école secondaire, Audrey étudie pendant une session en arts médiatiques au cégep. Après avoir quitté le programme, elle quitte aussi le Québec pendant un an afin de voyager dans l’Ouest Canadien, où elle tombe en amour avec les rocheuses! À partir de ce moment, son parcours est parsemé d’une multitude d’allers-retours entre l’Ouest canadien et le Québec, entre lesquels Audrey butine pour trouver sa voie professionnelle : des sciences humaines à la politique internationale puis au tourisme, elle est confrontée à quelques déceptions.
C’est lorsqu’elle devient maman pour la première fois qu’elle ressent un besoin de stabilité. Elle complète alors une technique en graphisme. Armée de son courage et de sa détermination, Audrey poursuit ses études. Elle se considère tout de même chanceuse : le filet social québécois, plus généreux qu’ailleurs, lui a procuré des conditions qui ont facilité ses études.
Son diplôme en poche, Audrey se tourne vers le marché du travail où une nouvelle déception l’attend. Les salaires et les conditions de travail offerts aux graphistes sont décourageants, voire même dévalorisants. Après trois ans de dur labeur, Audrey ne se voit pas travailler à ces conditions. C’est alors qu’elle décide d’ouvrir sa propre entreprise avec une amie graphiste.
À la recherche d’un ancrage
Ce nouveau projet est plein de promesses, mais le parcours ne sera pas de tout repos… En cours de route, Audrey devra faire face à un épisode de grave maladie physique qui l’obligera à être hospitalisée pendant 4 mois. Elle perdra sa partenaire d’affaires pendant cette période et devra reprendre seule les rennes de son entreprise, de façon progressive, à la suite de sa convalescence d’un an.
Audrey deviendra aussi maman pour une deuxième fois. À la suite d’une rupture, elle renoue avec le statut de maman monoparentale. En tentant d’allier sa situation parentale avec sa situation professionnelle, Audrey arrive au bout de ses ressources. Devant sa santé fragilisée, des difficultés financières et ses responsabilités parentales, Audrey décide d’occuper un emploi de pigiste pour une entreprise de sa région qui lui offre finalement un poste à temps plein qu’elle conservera pendant 2 ans.
Cette période de travail salarié procure à Audrey une stabilité financière, mais deviendra aussi une source de stress important. Audrey n’arrive pas à suivre le rythme du 9 à 5 : « Je ne comprends pas comment les gens font. » Tous les jours, c’est une course contre la montre : la routine bousculée du matin, la route pressée vers l’école, l’arrivée en trombe au bureau. Le soir, la même chose. Audrey n’arrive pas à concilier le travail et la vie de famille. Bien qu’elle y trouve une certaine sécurité, rapidement, Audrey se sent prisonnière de ses conditions de travail. Elle se sent dépossédée de sa gestion du temps, incapable de se sentir « créative » huit heures par jour, tout en prenant soin de sa famille. Pourtant, elle ne se plaint pas de son employeur : elle considère que l’entreprise qui l’a embauchée lui a offert de bonnes conditions de travail, a même toléré une certaine flexibilité d’horaire pour l’accommoder, mais la routine que son travail lui impose épuise Audrey qui se retire de son emploi pour une période d’arrêt de travail.
L’heure des choix… Privilégier la liberté ou la sécurité?
Audrey arrive alors à la croisée des chemins; elle doit faire un choix. Sacrifier sa qualité de vie et sa santé mentale pour maintenir une stabilité financière ou vivre avec les risques d’une vie professionnelle plus éclatée mais répondant mieux à ses besoins.
Elle choisira de reprendre les rennes de son entreprise à temps plein et de se diriger vers le travail nomade. Plusieurs membres de son entourage questionnent son choix, mais Audrey y tient. Il en va de sa santé mentale… Donc, après un séjour dans l’Ouest canadien, où elle travaillera comme designer graphique autonome et développera son réseau professionnel, Audrey s’installe dans la région de Québec pour faire grandir son entreprise.
Audrey a perdu la stabilité financière et les avantages sociaux de son ancien emploi, mais ce qu’elle a perdu en sécurité, elle l’a gagné en liberté. C’est le premier avantage qu’elle identifie à sa situation actuelle, et la condition essentielle pour n’importe quel futur emploi salarié… Cette liberté procure à Audrey une autonomie dans la gestion de son horaire qui lui permet, par exemple, de prendre le temps d’accompagner ses enfants à l’école le matin, sans courir. Cette liberté lui permet aussi de mieux composer avec les effets de son TDA et de son trouble anxieux; elle peut ainsi prendre une pause du travail lorsque les tâches s’accumulent et que la panique monte. La liberté est également source de satisfaction professionnelle : Audrey peut choisir des contrats diversifiés et vivre une polyvalence au plan professionnel. Elle choisit aussi ses clients, avec qui elle établit une relation d’affaires basée sur la confiance : « Mes clients me connaissent; ils ont « sizé » le personnage et me prennent comme je suis. »
Se donner les moyens de ses ambitions
Il serait faux de croire que la seule transition vers le travail autonome est la planche de salut d’Audrey. Au contraire, lorsqu’on lui demande ce qu’elle fait pour prendre soin de son bien-être comme travailleuse autonome, elle partage un bilan fort impressionnant : « J’en ai déjà fait beaucoup… Je ne vois pas ce que je pourrais faire de plus. »
En effet, Audrey a opéré des changements sur tous les plans afin d’éliminer les facteurs de stress : elle prend de la médication pour l’aider à composer avec les symptômes qu’elle vit, elle est déménagée près de la nature pour avoir accès à un lieu paisible, elle a choisi un mode de vie professionnelle qui lui permet un plus grand contrôle sur sa gestion du temps et qui offre la possibilité de concilier travail et famille, elle prend le temps de sortir dehors, de faire du sport, de vivre le moment présent et de se déposer quand la pression monte et, surtout, elle s’est construit un bon réseau social. Elle compte depuis plusieurs années sur le soutien de sa famille et de ses amis. Elle a aussi eu le courage, lorsque c’était nécessaire, d’aller chercher du soutien professionnel.
La liberté d’Audrey n’est donc pas qu’un vague concept romantique et idéalisé; il s’agit d’un choix de vie, d’une situation qui s’est construite sur plusieurs années, à force d’essais et de tentatives, dans la quête de l’équilibre pour aller mieux… pour être bien.